> DERAIN André (1880-1954) (d’après)

DERAIN André (1880-1954) (d’après)

Biographie


DERAIN André est né le 17 juin 1880 à Chatou et mort le 8 septembre 1954 à Garches. C'est l’un des fondateurs du fauvisme, c'est un peintre de figures, de portraits, de nus, de paysages, de marines, de natures mortes. Ses techniques sont la peinture à la gouache, l'aquarelle, le pastel. Il réalise des décors de théâtre, sculpteur, graveur et illustrateur. 




André Derain mieux vaut un échec sur l'absolu qu'une réussite provisoire


"Trahi par ses thuriféraires non moins que par ses détracteurs, escamoté par les conventions de l'époque et sa propre désinvolture à leur égard, Derain reste un cas difficile et singulier, sur qui pèsent l'équivoque et de nombreux malentendus..."


C'était pour les dissiper que Jean Leymarie qui s'ex prime ci-dessus, avait organisé à la Villa Médicis de Rome en novembre 1976, puis ensuite au Grand Palais du 15 février au 11 avril 1977, une rétrospective du peintre. Mais les malentendus s'attachent souvent à un artiste longtemps après sa mort, tant que certains ont encore intérêt à ce que courent les rumeurs sur lesquelles brodent les besogneux de la critique. L'exposition actuelle du musée d'Art moderne de la Ville de Paris réussira-t-elle à étouffer cette rumeur et à faire comprendre cette phrase de Giacometti: "Derain est le peintre qui me passionne le plus, qui m'a le plus apporté et le plus appris de puis Cézanne, il est pour moi le plus audacieux"?


Comprendre par la vision de l'oeuvre bien sûr, devant laquelle un artiste aussi différent de Derain que Giacometti a pu écrire ces lignes. Car le témoignage des créateurs nous informe toujours sur ce que souvent nous ne sommes pas préparés à voir. Plus exactement, leur regard est nourri des heures, des mois, des années passés devant l'oeuvre jamais achevée, toujours recommencée. Les mots alors n'ont plus le même poids. Non qu'ils annulent la vision et l'émotion de ceux qui regardent l'art et que comblent ses feux. Mais le témoignage est d'une autre nature, d'un autre lieu, quand on prépare le feu ou qu'on ne vient que s'y chauffer. Mais les flammes rassemblent tout le monde : l'œuvre ne s'expose que pour cela. Encore plus différent était sans doute Masson. C'est pourtant lui qui écrit à Jean Leymarie:


"L'art de Derain nous semblait révolutionnaire, c'est-à-dire légitime et par là-même dans la tradition, ce n'était pas un art de rupture." Citons encore Balthus, grand admirateur de Derain


et son ami jusqu'à la fin. Ils s'étaient connus en 1934, Balthus avait vingt-sept ans et Derain cinquante-quatre. En 1936, Balthus peint le puissant, magnifique et mystérieux "Portrait de Derain", en robe de chambre, une femme modèle assise sur une chaise à droite, et des tableaux retournés contre le mur à gauche. Balthus peint un géant aux mains si fines et si fragiles qu'elles renvoient à la jeune fem me assise et aux toiles contre le mur. Du peintre à la toile, c'est tout le mystère et les affres de l'homme devant son chevalet. Ce sera Balthus, alors directeur de la Villa Médicis à Rome, qui confiera à Jean Leymarie l'organisation de l'exposition évoquée plus haut.


Mais de quels malentendus Derain est-il la proie? Très certainement de ceux engendrés par l'esprit de système qui a sévi dans la peinture moderne aussi durement que dans tout le XXe siècle. Dans le livre que Pierre Cabanne lui a consacré en 1990, cette phrase extraite d'une lettre de Derain à Matisse, du 1 janvier 1907, exprime sans doute, comme le sou ligne Cabanne, le noeud central:


"... L'excès de la logique dans le direct, dans le brutal, nous interdit souvent ce monde d'une logique supérieure qui nous fait voir plus haut et nous per met de nous rendre conscients de nos contradictions. On ne doit pas avoir peur de se contredire pourvu que l'on dise sincèrement de tout son coeur ce que l'on veut dire. Celui qui comprend bien une chose peut ainsi facilement en comprendre le contraire. Il ne lui reste à exprimer que celle des deux solutions qu'il aime le mieux ou qu'il trouve la plus belle, ce qui est semblable." (1)


L'homme qui écrit ces lignes est celui qui, deux an nées plus tôt, au Salon d'automne, s'est vu regroupé avec Matisse, Manguin, Marquet, Van Dongen, Vlaminck, Jean Puy, Othon Friez, Kandinsky et Jawlensky. Dans ma même salle une sculpture de Marque représentait un buste d'enfant. Le critique Vauxcelles entrant dans la salle, dit: "Tiens, Donatello au milieu des fauves" (2). Le mot était lancé. La "cage aux fauves" allait faire fureur. Ce qui était d'une audace chromatique folle par la juxta position de couleurs primaires et la violence qui en résultait dans le détournement des couleurs de la réa lité, n'allaient être qu'un épisode de la peinture de Derain. Le Fauvisme, comme il le déclara lui-même plus tard "a été pour nous l'épreuve du feu... Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière." (1)


En 1907, Derain a vingt-sept ans. Né à Chatou, il a fréquenté en 1897-1899, l'Académie Camillo à Paris où il a rencontré Matisse et Jean Puy. C'est en 1900 qu'il fait la rencontre de Vlaminck avec lequel il se lie d'une amitié qui dura jusqu'à leur brouille de la guerre de 1914-18. En 1901, Derain copie au Louvre "Le Christ marchant au calvaire" de Biagio Antonio. Les deux toiles ont pu être admirées en semble à l'exposition "Copier-Créer" en mai 1993 au Louvre (voir Valeur de l'Art n° 13). Fascinante transposition dont Derain ne se sépare pas quand le marchand Ambroise Vollard, présenté par Matisse  en Février 1905, achète toutes les toiles de son atelier, ainsi d'ailleurs que celles de son ami Vlaminck.


Jusqu'à la guerre de 1914, soutenu par Vollard, Derain va chercher sa peinture. Pour le confronter à d'autres atmosphères, Vollard l'envoie avec Vlaminck à Londres, d'ou Derain ramènera de mer veilleuses toiles dont "Big Ben" qui est au musée de l'Orangerie. En 1905, Derain fait l'acquisition d'un masque africain: "Troublé par ce masque, d'origine Fang, Derain l'acquit et le suspendit au mur de son atelier de la rue Tourlaque, à Montmartre; c'est là que Matisse et Picasso le virent" (1). On sait que toute l'époque a tourné autour du "primitivisme" et que l'art moderne allait en être bousculé, et dans les meilleurs des cas, fécondé. Mais si Derain fut durablement bouleversé par ces figures africaines, il n'en fit pas la source de son inspiration. Il partage son temps entre Cassis où Matisse lui rend visite, Martigues où il séjourne durant l'été 1908, avec Braque et Dufy comme voisins à l'Estaque. En 1910 il travaille avec Picasso à Cadaquès. La même an née, il quitte son atelier de Montmartre et s'installe rue Bonaparte. "Les baigneuses" date de 1906, la "Nature morte à la table" est de 1910, et révèlent, bien sûr, le regard que Derain porte sur le cubisme. Mais à l'approche de la guerre, le "Portrait de Madame Kahnweiler" (1912-1913), le magnifique "Joueur de cornemuse" de 1910-1911, ou "Le calvaire" peint en 1912, précisent la place que Derain va occuper parmi les peintres de son temps, une des plus grandes.


La guerre l'éloigne pendant cinq longues années des chevalets. Il fait les campagnes de la Somme, de Verdun et des Vosges. Puis la guerre se termine. Malgré toutes ses relations avec les peintres qui vont devenir les figures de proue de l'art moderne, Derain est à part et ne fait partie d'aucun groupe. Dès avant la guerre, en 1907, il avait signé un contrat avec Kahnweiler tout en continuant à travailler avec Ambroise Vollard. En 1909, il avait illustré de gravures sur bois "L'enchanteur pourrissant" d'Apollinaire et en 1912, toujours avec la même technique, "Les oeuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel" de Max Jacob, ces deux ouvrages édités par Kahnweiler. En 1916, Derain avait fait une exposition chez Paul Guillaume. Celui-ci va de venir son marchand en 1923, alors qu'il quitte Kahnweiler en 1922. La concurrence entre les deux marchands marqua toute l'après-guerre. De plus en plus, Derain est le peintre "français" par excellence. Ses toiles se vendent de plus en plus cher. En 1923. deux livres paraissent sur son oeuvre, l'un est signé par Elie Faure, l'autre par André Salmon. L'époque, comme dit Pierre Cabanne, est au "retour" ou au "rappel à l'ordre". Si Derain accentue de plus en plus ses recherches et son attachement à la grande peinture classique, notamment Raphaël, c'est aussi un homme perpétuellement en proie au doute et passionné par une seule chose, la peinture. Pourtant, en public, grand amateur de belles voitures et de femmes, il donne l'image d'un dandy, ce qu'il n'est au fond peut-être pas. Mais le succès est là et Derain peut peindre ce qu'il veut, même si ce qu'il veut n'est pas toujours le plus facile à faire surgir sur la toile. Il reçoit en 1928 le prix Carnegie à Londres. Paul Guillaume organise des expositions à Londres, à Berlin, à Francfort, Düsseldorf, New York. En 1939, lorsqu'éclate le second conflit mondial, une exposition lui est encore consacrée dans cette dernière ville.


La France est occupée. Derain et sa famille quittent leur maison de Chambourcy qui va être occupée et ravagée par les troupes d'occupation. Il doit quitter avec désespoir sa bibliothèque si importante pour lui. Quand il retrouvera sa maison, elle aura été pillée, plusieurs toiles crevées, et sera devenue complètement inhabitable. C'est en 1941 que se situe le voyage en Allemagne qui devait tant peser sur son avenir. Pierre Cabanne, en 1990, au moment où il rédigeait son ouvrage sur Derain, a retrouvé un manuscrit inédit. Résumons. Quelque temps après l'occupation de sa maison, la police nazie le convoque pour savoir s'il est juif et pour vérifier ses allégations sur les déprédations commises dans sa maison. Quelques jours plus tard, un officier allemand lui rend visite à son atelier, rue d'Assas, et lui laisse entrevoir une libération de sa maison et évoque l'idée d'un voyage qui va être organisé en Allemagne pour des artistes français. Derain répond que ses travaux l'empêchent de voyager. En septembre 1941, il reçoit la visite d'un ancien modèle qu'il avait peint entre 1922 et 1923. Surpris de cette visite, il l'est encore plus d'apprendre qu'elle est devenue la femme du sculpteur Arno Breker, artiste officiel du régime hitlérien, et que Derain ne connaissait pas à l'époque. Son ancien modèle lui fait part à nouveau de l'organisation d'un voyage en Allemagne et lui apprend qu'il fait partie des artistes désignés. En octobre 1941, alors que le voyage semble oublié, une femme accompagnée d'un officier allemand vient acheter des tableaux. L'officier voulait lui aussi voir ses tableaux. Comme à l'habitude dans ce genre de transaction, c'est la femme de Derain qui les reçoit. Mais un peu plus tard, le voyage est décidé et un officier se présente à son atelier pour venir prendre ses bagages, trois ou quatre jours avant le départ. On fait miroiter à Derain qu'à l'issue de ce voyage des peintres prisonniers de guerre seront libérés. L'a-t-il cru? La pression était telle qu'il savait qu'il lui était difficile de refuser. Le voyage eut donc lieu. Il retrouva Vlaminck avec lequel il était fâché depuis dix ans. Les participants s'ennuyèrent et réussirent à faire écourter le voyage d'un jour. En conclusion de ce triste épisode, Derain écrivit :


"Si je n'avais pas été brutalement chassé de ma maison, j'aurais comme beaucoup de Français ignoré les Allemands; eux aussi peut-être, et je n'aurais pas fait ce voyage..."


En post-scriptum, Derain précise qu'il n'a reçu pendant l'occupation que quatre allemands, deux de la propagande et deux soldats peintres qui voulaient voir son atelier :


"Je n'ai fait aucune affaire avec les Allemands, malgré de nombreuses sollicitations de leur part, entre autres l'offre de faire le portrait des enfants Ribbentrop en 1940 et 1941, que j'ai refusée... Après ce voyage j'ai éconduit tous les photographes allemands qui venaient dans mon atelier."


Lourd de conséquences, ce voyage, malgré le "lavement" de tout soupçon de collaboration produit au moment des jugements de l'épuration, collera à Derain comme une marque infamante dont il avait honte. Quand la revue "Beaux-arts" de novembre 1944 titre en gros caractères, en première page, à propos de l'exposition actuelle: "Derain, fauve, cubiste et collabo ?", on ne peut qu'éprouver une nausée certaine.


Le mal est fait.


En 1943, Albert Skira, l'éditeur genevois, de mande à Derain d'illustrer le "Pantagruel" de Rabelais. Derain grave lui-même les bois qui vont servir aux magnifiques illustrations de ce livre. De 1945 à 1954, il va réaliser quelques décors et costumes de ballets: "Mam'zelle Angot" à Londres en 1947, "Le Diable l'emporte" pour les ballets Roland  Petit à Paris en 1948, "L'enlèvement au sérail" de Mozart pour le festival d'Aix-en-Provence en juillet 1951, le décor et les costumes du "Barbier de Séville" de Rossini en 1953 pour ce même festival. Le 8 septembre 1954, Derain meurt dans une cli nique de Garches après avoir été renversé par une voiture quelques jours plus tôt.


L'exposition du musée d'Art moderne de la Ville de Paris, qui réunit quelque trois cent cinquante œuvres, dont cent soixante-dix peintures, permettra peut-être de lever les malentendus de notre époque. Alors prendra tout son sens le bel hommage de Giacometti lorsqu'il écrivit :


"Les qualités de Derain n'existent qu'au-delà du ratage, de l'échec, de la perdition possible, et je ne crois, il me semble, que dans ces qualités - là, au moins dans l'art moderne - je veux dire (peut-être) depuis Giotto. Derain était dans un lieu, dans un en droit qui le dépassait continuellement, effrayé par l'impossible et toute œuvre était pour lui échec avant même de l'entreprendre..."


Il est des échecs qui valent par ce qu'ils visent et dont la hauteur domine des réussites moins élevées.


A. Calonne




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