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Gauguin et la Belgique

Gauguin et la Belgique : les XX et la libre esthétique

"Il y a tout juste un siècle, en 1894, Gauguin effectuait son unique voyage en Belgique. Tous les éléments de son œuvre peint, gravé, sculpté sont rassemblés a Liège dans la subtilité d'une démarche scientifique qu'associe l'artiste aux mouvements les plus vivants de son époque : les Salons des XX et de la libre esthétique qui se tinrent alors à Bruxelles. L'exposition donne ainsi l'occasion de situer l'œuvre de Gauguin par rapport aux tendances dominantes de l'époque : l'Impressionnisme, le Néo-Impressionnisme, le Symbolisme et l'Art Nouveau, en le confrontant a celles d'autres artistes ayant participé à ces mêmes Salons.

"De Paris a Bruxelles il n'y a qu'un pas un peu pour m'instruire, beaucoup pour me distraire, je me paye le voyage." C'est en ces termes que Gauguin commente sa décision de se rendre en Belgique en février 1894. Quand il est convié pour la troisième fois à exposer aux Salons de l'avant-garde à Bruxelles, Gauguin est rentré de Tahiti depuis plu sieurs mois. Il éprouve beaucoup de fierté de se rendre à Bruxelles, devenu à cette époque un centre important de création et de diffusion culturelle grâce aux Salons des XX et de la libre esthétique où il ex posera quatre fois entre 1889 et 1897..

Le cercle des XX, groupement d'artistes" indé pendants pourvu qu'il existe le talent", animé par Octave Maus, avocat et critique Bruxellois, s'était formé en réaction contre l'académisme des institutions officielles. On lui devait depuis 1884 l'organisation d'expositions annuelles d'arts moderne accompagnées de concerts et de causeries littéraires.. Parmi eux, Théo Van Rysselberghe, James Ensor, Rodin, Monet, Cézanne, Van Gogh, Toulouse-Lautrec et bien entendu Gauguin s'efforcent de promouvoir l'avant-garde artistique avec l'aide non négligeable d'Octave Maus. La qualité de leurs expositions leur vaudra une renommée internationale.

Après la dissolution des vingtistes, ce dernier les remplace par une nouvelle structure, la libre esthétique, qui reste dans le même esprit que le mouve ment des XX mais en l'amplifiant. Le premier Salon de la libre esthétique rassemblera pas moins de quatre-vingts artistes avec un demi millier d'œuvres!

Devant cet événement, le critique français Gustave Geffroy déclarera: "Ce n'est pas d'art belge qu'il s'agit, mais d'un commencement d'art européen en Belgique, d'un rendez-vous donné dans une grande ville aux différentes formes de pensées qui parcourent le monde civilisé..."

En compagnie d'un jeune journaliste, Julien Leclercq, Gauguin découvre les musées de Bruges, Anvers, et Bruxelles. Sur le registre de l'hôpital Saint Jean de Bruges, l'artiste inscrit Tahiti comme domicile. Au musée communal, il admire le tryptique de Saint-Christophe de Memling. A son ami Daniel de Monfreid, il confie: "j'ai vu à Bruges des Memling, quelles merveilles, mon cher, et puis après quand on voit Rubens (l'entrée dans le naturalisme), ça dégringole." L'impact de cette rencontre avec l'art de Memling est particulièrement sensible dans un tableau comme "La jeune chrétienne" ou le monotype 1""Angélus" qu'il exécute à son retour de Bretagne.

Le vernissage du premier Salon de la libre esthétique nous fournit le point de vue critique de Gauguin sur les œuvres d'artistes ayant retenu son attention. Si Berthe Morisot semble épargnée - "elle reste toujours le beau peintre personnel" - Renoir et Pissarro font l'objet de critiques acerbes.

Gauguin rend hommage à Odilon Redon, "cet artiste extraordinaire qu'on s'obstine à ne pas com prendre" et termine par un éloge à Puvis de Chavannes, son parcours d'une exposition "où, en somme, il y a beaucoup de talents mais peu d'enseignements."

Qu'en était-il de la réaction du public face à l'œuvre de Gauguin ? Quand il n'est pas purement et simplement oublié des critiques et des journalistes, Gauguin est totalement incompris : "C'est un véritable artiste barbare, ses couleurs sont crues, ses personnages hiératiques. Il exprime des sentiments rudimentaires de l'homme primitif, et de la nature, et se borne à traduire la vie fruste et confusément mystérieuse." Seul son compagnon de voyage, Julien Leclercq, lui avoue son admiration, dans un article du Mercure de France: "Les gens qui nient Gauguin ont contre lui trois griefs: son ignorance, son extravagance, sa barbarie. Son ignorance ?... Est-il possible qu'il soit un ignorant celui qui, faisant ce qu'il veut en sachant vouloir ne laisse intervenir dans son œuvre que des éléments choisis entre plusieurs ! Son extravagance ? C'est aussi peu extravagant que du Poussin; c'est aussi pondéré, aussi grave et ça brille d'un pareil éclat de couleur. Sa barbarie ? Non, je préfère décrire tel paysage tahitien plein de douceur, de joie et de grâce..."

Toutefois, ces œuvres tahitiennes, avec leurs titres en langue maorie, agacent et ne contribuent en rien à une reconnaissance de l'œuvre ni de l'artiste. Le public ne perçoit pas, à travers la beauté des indigènes et des paysages polynésiens les larges rythmes classiques des bas-reliefs égyptiens, ni la tendre spi ritualité des primitifs italiens, ni les aplats contour nés des estampes japonaises. Exaltant la luxuriance des couleurs tropicales, Gauguin a su conférer à leur ténébreuse incandescence le symbolisme mystérieux des mythes païens et des terreurs superstitieuses.

Déprimé par cet isolement, y compris au sein même de la communauté artistique qui le reconnaissait jadis comme son chef de file, Gauguin cultive avec ostentation et mépris un exotisme parfois artificiel. Les toiles qu'il peint apparaissent comme une réminiscence nostalgique et quelque peu agressive de son expérience tahitienne et des méfaits de la civilisation.

Après une piètre liquidation de son atelier en sal le des ventes, Gauguin regagne l'île de ses rêves en mars 1895. Désormais sa soif de solidité plastique et de rythmes classiques pourra enfin s'épanouir dans la somptuosité d'une matière austère.

Il faudra attendre sept ans après la mort de Gauguin pour que la presse et la critique relative au Salon de la libre esthétique lui consacre un article digne de son génie. Cet article caractérise bien la figure de Gauguin: "il faudrait attirer l'attention sur Paul Gauguin, qui a eu de la pleine à se faire admirer, parce qu'il suivait un chemin isolé et très loin des autres... l'artiste a conquis, parmi les novateurs, une place solitaire, un rang elevé"

J.Delaunay


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