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Georges Braque : par delà le cubisme

Georges Braque : par delà le cubisme

L a peinture de Braque se confond bien sou vent avec la révolution cubiste, sa rigueur janséniste, l'austérité des tons confinant au camaïeu et surtout la dissociation de la couleur et de la forme.

La rétrospective que présente la fondation Maeght à l'occasion de son trentième anniversaire révèle l'itinéraire hors du commun du peintre depuis les oeuvres fauves de ses débuts en passant par l'invention des papiers collés et toute l'aventure du cubisme, la série des guéridons, natures mortes, nappes, billards, ateliers, paysages de Varengeville jusqu'aux oiseaux de la fin de sa vie - soient quelque cent-vingt oeuvres au total.

La peinture est une vieille histoire de famille chez les Braque : le père aime la peinture et adore y sacrifier tous ses loisirs, le grand père est peintre amateur. L'environnement est également propice à une telle vocation : Georges Braque est né à Argenteuil, au moment où les Impressionnistes y travaillent. Il passe son enfance au Havre, toujours en pleine atmosphère impressionniste.

Influencé par l'impressionnisme mais aussi tout particulièrement par Corot, Braque exécute des paysages de la côte normande : autant d'essais de jeunesse que l'artiste détruira par la suite.

L'artiste se cherche encore et se laisse entraîner par Othon-Friesz et Raoul Dufy dans cette rupture qu'est le fauvisme. Il passe ainsi l'été avec Friesz, à Anvers où il peint une douzaine de tableaux sur le motif du port d'Anvers. Puis il se rend en Provence, à l'Estaque, sur les traces de Cézanne, où sa palette s'embrase. "L'olivier près de l'Estaque" est une toile charnière, proche de l'univers de Cézanne par sa construction géométrique de l'espace extérieur - qui porte la couleur à son degré d'intensité maximum - "Le tableau a cessé d'être la reproduction objective du monde sensible pour traduire un autre rapport de l'artiste à la nature fondé sur une volonté de création poétique", comme l'a très justement souligné Marcel Giry dans un article sur la période fauve de Braque.

Braque ne fut toutefois pas un fauve tempéré : certaines versions du port de l'Estaque le montrent capable d'harmonies plus radicales, de contrastes sonnants.

Les paysages de l'Estaque se modifient alors peu à peu. "Quand je suis retourné pour la troisième fois dans le Midi, je me suis aperçu que l'exaltation qui m'avait rempli lors de mon premier séjour et que j'avais transmise à mes tableaux, n'était pas la même. J'ai vu qu'il y avait autre chose".

Ces phrases de Braque annoncent un assombrissement progressif de la couleur et une simplification radicale des formes.

Sur les traces de Cézanne, il se rend à la Roche-Guyon où il exécute des paysages dans lesquels les maisons, taillées en facettes telles des pyramides, grimpent à l'assaut d'autres facettes verdoyantes. Quelques années avant que la Grande Guerre n'éclate, il se rend avec Derain à Carrières Saint-Denis où il peint une autre série de paysages dans laquelle la forme à la fois verticale, horizontale et transversale s'accentue.

A cette époque, Braque est très lié avec Picasso qui lui révèle la voie du cubisme. Les découvertes se succèdent au rythme des natures mortes. Braque inscrit pour la première fois des lettres au pochoir, et introduit du papier peint faux bois. Ainsi naît le "papier collé" dont la compléxité s'accroît jusqu'à devenir de véritables "assemblages": "Violon bal", "Le petit éclaireur"," Le damier" sont des réussites du genre.

La guerre vient inter rompre brutalement les re cherches cubistes de Braque. Grièvement blessé en 1915, il est trépané comme son ami Guillaume Apollinaire.

Il recommence alors à peindre: "La musicienne" (1918) inaugure ce que l'on appellera le "cubisme analytique". Sa méthode de travail le conduit à mener plusieurs toiles de front, sur des thèmes que l'on retrouvera tout au long de son oeuvre.

Il réalise ainsi une série de "natures mortes au guéri don" dont "Le guéridon" (1929) qui montre un retour de la couleur dans sa peinture avec des tons presque purs à la place d'une gamme extrêmement limitée. La merveilleuse sûreté de goût, qualité dominante de l'artiste classique, joue ici à plein. Braque fut toujours préoccupé par la mesure, la précision et la profondeur. Le raisonnement joue un rôle important dans la préparation de ses toiles ainsi que des dons analytiques très forts.

Au début des années vingt, Braque entreprend une série de natures mortes sur le thème du "buffet", de format horizontal, très allongé, dont il excellera à tirer parti, et dont le fond noir, particulier à cette période, renforce la substance de l'espace et celle de la couleur. "Je mène la couleur n'importe où et chaque tâche dépend de l'ensemble. Traitée comme ça la couleur devient abstraite. J'emploie la couleur en formes fixes pour montrer qu'elle agit en dehors de l'objet". Une telle déclaration place évidemment l'artiste aux antipodes de la pensée impressionniste.

Au cours des années trente, Braque abandonne les couleurs sombres pour laisser sa palette éclater dans une série de natures mortes dont le thème principal est la "nappe". Puis, comme pour mieux contrôler l'exhubérance de la couleur, il entreprend en 1936 une série d'intérieurs dans laquelle inter vient la figure comme dans "Femme à la mandoline".

Durant la Seconde Guerre mondiale, Braque se cloître dans son atelier qui devient prétexte à une série, sommation de son expérience mais aussi message autobiographique, préfigurée par le "Grand intérieur à la palette" (1942). C'est dans cette célèbre série de neuf toiles, dont quatre sont présentées, qu'apparaît le thème de l'oiseau. Celui-ci va ensuite hanter l'oeuvre ultime de Braque. Cette période coïncide avec la création de deux versions sur le même thème "Le billard" de (1944) et "Le billard d'été" (1949). Dans la seconde version, la table est vue par un de ses grands côtés, figurée par deux tra pèzes convergeant vers le centre, comme si les petits côtés étaient représentés également, en perspective. Trois boules roulent sur le tapis vert, mais leur sphère se dédouble comme pour indiquer une ombre portée.

L'amorce d'un cerne noir ne coïncide pas volontairement avec la couleur locale, vieux souvenir des pommes de Cézanne. Comme le signale Nadine Pouillon, rappelant la longue pratique du jeu de billard par l'artiste, Braque s'ingé nie à multiplier les points de vue: "les possibilités visuelles qu'offre la variété des regards du joueur sur la table ont été exploitées et transposées lumière concentrée, vues partielles et grossies suggérant l'amateur penché au ras du tapis, projections déformées du billard qui vient vers le pratiquant-spectateur sous plusieurs angles".

L'oiseau, apparu dans les oeuvres précédentes, s'envole de l'atelier, devenu oiseau migrateur célébré par Saint-John Perse "de tous nos consanguins le plus ardent à vivre": "A tire d'aile" (1956-1961) et les "Oiseaux noirs" (1956-57). Le tableau "A tire d'aile", simple en apparence, est le fruit d'une longue et lente gestation. L'oiseau, ailes dé ployées, le cou tendu, pénètre de son bec une forme étrange, que certains ont assimilé à un nid, d'autres à un nuage.

C'est sous cette forme que la galerie Maeght expose la toile en avril 1956. Sortie de l'atelier, Braque la contemple et commente: "bon, elle est finie, harmonieuse à souhait. Au bout de quatre mois, à l'observer chaque jour, à la vivre, je me suis aperçu qu'elle me devenait par trop habituelle. Un trop grand confort pour l'oeil. Je me suis donc décidé à créer une rupture en peignant dans le bas gauche du tableau un autre oiseau délimité dans une sorte de cache rectangulaire blanc, le tout posé là comme une estampille, un timbre même. En créant la contradiction, et non le désaccord, tout le tableau vit d'une manière plus insolite. Il faut parfois, de ces effets de surprise. Ça empêche la routine de s'installer...".

La série dîte des "Open", la face lumineuse de l'oeuvre de l'américain Robert Motherwell sera toute entière bâtie sur ce principe.

Mais il y a un élément caractéristique dans l'oeuvre de Braque qui atteste ses dispositions classiques.

Comme l'a souligné le critique Zervos, "Braque a voulu que la peinture moderne se conforme à la tendance qui répugne à ces confusions des valeurs et à ces empiètements d'un art sur un autre, qu'on voit tous les jours chez les artistes qui ont confondu la peinture avec la simple pensée ou le sentiment littérairement poétique.

Chez Braque, au contraire, prédomine l'élément pictural qu'on ne saurait atteindre par les moyens d'aucun autre art".. d'au

Limpide, sereine, éclairée et féconde, l'oeuvre de Braque apporte une leçon de noblesse et de poésie à une époque confondant trop souvent la simple pensée avec la qualité picturale de l'oeuvre.

T. Demaubus


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