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Le fonds Vlaminck du musée de Chartres

Le fonds Vlaminck du musée de Chartres

C'est toujours un plaisir d'aller faire un saut à Chartres. La cathédrale est un des fleurons de l'architecture religieuse dont on ne finit jamais de contempler les statues des façades. A ce titre, pas de meilleur guide qu'Emile Mâle qui consacra en 1948 un petit livre à cette cathédrale, après avoir donné au début de sa vie son monumental "Art religieux du XIIIe siècle en France" "").

Mais Chartres, à côté de sa cathédrale, dans l'ancien palais épiscopal, abrite son très beau musée des Beaux Arts. Nous vous avions parlé en 1994 de la magnifique exposition qui y avait été consacrée au sacre d'Henri IV. C'était déjà l'occasion de visiter les salles consacrées au fonds Vlaminck. Pour ceux qui aiment la forte personnalité de cet orageux ami de Derain, une présentation différente de cette très belle collection leur est offerte jusqu'en décembre de cette année.

Nouvelle présentation et enrichissement ! Le parcours qui permettait déjà, dans un cadre particulièrement serein, de suivre l'itinéraire pictural du peintre, accompagné de belles sculptures africaines de sa collection personnelle, vient de s'enrichir de nouvelles acquisitions. Trois œuvres de Vlaminck, et une toile de son ami André Derain. Du premier ce sont le "Père Bouju" (1900), "Le pont de Meulan" (1910) et une "Nature morte au couteau" de 1910. De Derain un dépôt de l'Etat permettra d'admirer le "Portrait du père de l'artiste" de 1904, qui a accompagné le peintre toute sa vie. L'attachement qu'il portait à cette toile n'était pas moindre que celui de Vlaminck pour sa toile du "Père Bouju". Elle date de 1900 et c'est une des seules œuvres importantes de l'artiste jusqu'à cette date qui soit conservée ou connue. C'est une œuvre de jeunesse mais qui est comme un manifeste de ce que Vlaminck allait produire plus tard. Toute la force et l'explosion du Fauvisme quelques années plus tard, en compagnie de Matisse, Derain, Jean Puy, Manguin, s'y expriment déjà. Ce portrait était très peu connu avant qu'il ne soit exposé à la galerie Charpentier à Paris en 1956. II avait été acheté au Havre lors d'une vente publique par Jean Methey, directeur de la galerie de l'Elysée. C'est à lui que Vlaminck l'a racheté en 1938. La toile fut donnée au musée national d'art moderne par Madame Vlaminck en 1959. 

Toile prophétique d'un jeune peintre révolté de vingt quatre ans ! Vlaminck avait quitté sa famille à seize ans pour vivre à Chatou et commencer à peindre. Il exerça beaucoup de métiers, de mécano à coureur cycliste professionnel! En 1896, une fièvre typhoïde l'empêche de participer au Grand prix de la Ville de Paris. Il gagne alors sa vie en donnant des cours de violon et en jouant dans les orchestres le soir, Marié en 1894 avec sa première femme, Suzanne Berly, deux filles sont nées en 1895 et 1897.

Au moment de la toile du "Père Bouju", il écrit dans des journaux anarchistes dont "Le libertaire". On sait que ces idées ont le vent en poupe particulièrement chez les artistes. C'est le cas de certains Nabis qui fréquentent le cercle de "La revue blanche". Mais chez Vlaminck, le fond libertaire restera une coloration marquée de son caractère, de ses idées sur le monde et sur la peinture. Qu'on en juge:

"Je voulais brûler avec mes cobalt et de mes vermillon l'école des Beaux-Arts et je voulais traduire mes sentiments avec mes pinceaux sans songer à ce qui avait été peint".

Si les choses ne sont pas assez nettes encore, on réfléchira sur cette phrase de 1936:

"Ce que je n'aurais pu faire dans la société qu'en jetant une bombe - ce qui m'aurait conduit à l'échafaud - j'ai tenté de le réaliser dans l'art, dans la peinture, en employant de pures cou leurs sortant de leur tube. J'ai satisfait ainsi à ma volonté de détruire, de désobéir, afin de créer un monde sensible, vivant et libéré".

Une chose est certaine, si Vlaminck avait été l'émule de Ravachol ou d'Emile Henry, la peinture y aurait sans doute beaucoup perdu.

En 1905, exposant huit toiles au Salon d'automne, ce sera l'exposition qualifiée de "fauve" par un critique. Le mot fera école ! Avec Derain qu'il a connu en 1900, le parcours sera celui de l'explosion picturale de la couleur, et ce jusqu'à la guerre de 1914. Si Vlaminck touche quelque peu au cubisme, ce sera du bout du pinceau et en gardant toujours sa personnalité singulière et réfractaire à toute école. Il est vrai qu'il aimera Van Gogh tout comme Cézanne. Mais aimer n'est pas plagier. On sait qu'en 1906 le marchand Ambroise Vollard lui achète toutes les toiles de son atelier. Il ira avec Derain à Londres à la de mande du même Vollard et en ramènera des toiles assez sombres, manière qui fait pendant à l'explosion fauve. Car Vlaminck n'est pas d'une seule pièce. Il sait aussi se faire mélancolique et souvent lyrique. Une grande partie du travail qu'il donna à la lithographie ou à ses magnifiques gravures sur bois témoigne d'une émotion apaisée, d'un amour de l'harmonie et de la nature. Il n'y a pas là de contradiction. Les natures révoltées sont presque toujours le fait d'amoureux des joies terrestres que le spectacle du monde social indispose.

Il reste que Vlaminck avec le "Père Bouju", à vingt quatre ans, en 1900, lance comme le coup de canon qui annonce l'expressionnisme futur. Il ne le sait pas encore mais il faut bien le dire, n'en sera pas étonné quelques années plus tard.

Il faut donc voir ou retourner voir cette belle présentation de Vlaminck au musée de Chartres. Une vidéo, réalisée lors de la grande rétrospective de ce musée en 1987, est diffusée en permanence à l'occasion de cette nouvelle présentation. On ne peut clore cette invitation sans donner un extrait du testament que Vlaminck lit justement dans le film présenté à Chartres : "Je suis surpris d'avoir pu résister, jusqu'à présent, à la barbarie scientifique de l'espèce humaine civilisée et de ne pas être depuis longtemps à six pieds sous terre...

Je donne gratuitement à tous et à toutes les émotions profondes, dont le souvenir est encore vivace dans mon cœur, que m'ont procuré les Ruysdaël, les Breughel, les Courbet, les Cézanne, les Van Gogh... et je fais don, sans regret, sans envie, de ce que je n'aime pas et de ce que je refuse: le lait pasteurisé, les produits pharmaceutiques, les vitamines, les ersatz, les rebuts décoratifs de l'art abstrait....sans envie, de ce que je Maurice de Vlaminck "Père Bouju" (1900)

Je lègue aux jeunes peintres toutes les fleurs des champs, les bords des ruisseaux, les nuages blancs et noirs qui passent au-dessus des plaines, les rivières, les bois et les grands arbres, les coteaux, la route, les petits villages que l'hiver couvre de neige, toutes les prairies avec leur magnifique floraison et aussi les oiseaux et les papillons...

Ces bien-là, ces inestimables biens que chaque saison voit renaître, fleurir, palpiter, ces biens-là que sont la lu mière et l'ombre, la couleur du ciel et de l'eau ne faut-il pas nous rappeler parfois qu'ils sont notre inestimable patrimoine, instigateurs de chefs-d'œuvre ?

Trésor commun, sur lequel le fisc perd ses droits et que peut léguer, sans déranger le vieux notaire, un vieux peintre dont les yeux éblouis conservent encore l'image des champs, des prés, dont l'oreille garde le bruit des sources....

Je n'ai rien demandé, la vie m'a tout donné. J'ai fait ce que j'ai pu, j'ai peint ce que j'ai vu."

Comme quoi, après avoir commencé avec la cathédrale de Chartres, il n'est pas moins agréable de penser que son ombre protège, en son vieux palais épiscopal, un anarchiste qui aimait la vie et le bruit des sources, et qui déclarait en 1927 à Louis Vauxcelles: "La fréquentation des musées abâtardit la personnalité comme la fréquentation des curés fait perdre la foi. La science tue l'instinct". Et pourtant! Dans ce musée à l'ombre d'une cathédrale, Vlaminck est à son aise. Nous aussi !


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