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Marcel Gromaire

Marcel Gromaire

Dans une société qui dégénère et se perd en ondoiements raffinés comme en saillies esthétiques, Gromaire maintenait, protégeait; il dénonçait tacitement les impostures en s'abstenant d'être un juge. Quelle étrange chose ! La lucidité, et se taire comme si l'ultime pouvoir était silence et solitude! C'est pourquoi le mutisme d'une âme forte, irrite tant le tout mondain qui écrit et parle. On voudrait pouvoir se recueillir dans le silence de Gromaire, comme dans la structure de l'une de ses formes, comme dans la vertu innée d'un être pur. Avec lui, c'est un sentiment de force indestructible qui triomphe du désordre de ce temps."

Ainsi s'exprime René-Jean Clot dans la plaquette qui présente la rétrospective de l'œuvre de Marcel Gromaire (1892-1971) au musée des Beaux arts de Clermont-Ferrand jusqu'au 31 décembre 1994.

Mais qu'il est difficile de parler d'un peintre que l'on aime entre tous ! Etais-je arrivé à le communiquer à l'occasion de la très belle exposition sise à la galerie de la Présidence en décembre 1993 ? Les mots sont toujours d'une pauvreté déconcertante lorsqu'il s'agit de parler de l'œuvre d'un peintre comme Gromaire. Le risque est, toujours, de passer à côté de l'essentiel, de ne pas trouver le ton qui puisse prétendre, même avec d'humbles moyens, introduire à l'œuvre d'un peintre qui se voulut au service de la grandeur de l'homme, et qui, miraculeuse ment, y réussit. Car la réussite en peinture est rare quand elle ajuste sa quête, son ascèse à la transcription plastique de la face intemporelle de l'homme qui, par sa présence de chair, de labeur et d'extase, de peine et de joie, exprime le mystère éternel de son humanité.
Ce que Gromaire a atteint dans la solitude du travail pictural de toute une vie, ne s'exprime que très rarement dans l'histoire de l'art. C'est peut-être pour cela que, malgré les plus hautes distinctions que le monde lui a décernées, sans qu'il les ait jamais cherchées, son œuvre ne résonne pas encore comme elle pourrait tant le faire, dans le cœur de nos contemporains.

Il est vrai que Gromaire est un des peintres les plus graves de notre temps. Grave! Cet adjectif est tellement à contre-courant de notre époque qu'elle en oublie l'origine exacte et n'en garde que le sens qui lui permet de justifier ses superficialités. Grave a d'abord voulu signifier le noble et le digne, ce qui donne du poids aux choses. N'importe lequel de ces mots pourrait "définir" l'œuvre de Gromaire. Mais notre époque frivole se trompe lorsqu'elle confond le grave avec le froid. Rien de plus opposé à l'art de Gromaire ! Pour tous ceux qui ont été vertigineuse ment émus devant ses nus et la puissance de leur sensualité, il n'y aura aucun étonnement à lire ces mots du peintre :

"En art, le nu n'est haïssable que lorsqu'il est dé pourvu de sensualité, simple exercice académique. C'est une lâcheté hypocrite de n'en point faire une exaltation sexuelle parce qu'il manque aussi son but le plus haut qui est cette ardente transmutation du climat torride de la chair en un nombre vivant, irradiant, que gouverne l'esprit."

Ardente transmutation! Voilà révélée, en deux mots, toute la quête d'un grand, d'un très grand artiste. Et ce que Gromaire a su nous donner, au plein sens du mot, avec ses célébrations du corps de la femme, il le met en œuvre, magnifiquement, avec ses hommes au travail. Dépouillées du détail sans importance, ses figures du labeur, de la force et de la noblesse du geste précis de l'homme façonnant la matière sont comme de monumentales statues sculptées pour tra verser le temps. L'une d'elles, pour certains sa figure emblématique, est ce formidable "Faucheur flamand" (1924) attelé à marteler le fil de sa faux. L main de l'homme rivée à sa terre, telle une pince
d'acier, assigne à la faux la place qu'elle ne quitte pas. La main gauche tient la massette. Toute la puissance de l'homme de la terre ramassée, concentrée dans un geste d'une délicatesse infinie. Car le cou pant de la faux n'est pas le fer porté au rouge frappé sur l'enclume. Carrure du buste rouge du paysan. Et puis la pipe. L'homme fume. Et fumer permet aussi de rêver, de laisser vaquer les songes. Impossible de penser que Gromaire n'ait pas été habité par la faux comme symbole de la grande faucheuse d'hommes. Alors ce simple faucheur flamand est bien sûr plus qu'un moissonneur du Nord. Il incarne toute la condition humaine quand elle accepte de front la dialectique de la nécessité et de la joie, quand elle accepte la confrontation du rêve qui n'oublie pas la mort. Gromaire retrouve alors la grandeur e fouie dans chaque regard d'homme. De cette grandeur qui fait les cathédrales, de celle qui engendre l'honneur, de 

celle qui fait de chaque homme amoureux le plus grand des fous et le plus humble des vaincus. Il est des moments curieux de l'actualité des choses de l'art, qui sont des clins d'œil complices à l'inopportune fuite du temps. Au même moment sont données des rétrospectives de Poussin, de Denis, de Derain et de Gromaire. Il y a entre ces quatre personnalités très différentes une unité de geste. La grande moralité et l'humilité devant l'art et son histoire. Mais les plus grands sont aussi les plus humbles. Quand une époque l'oublie, elle se perd.

Je ne peux finir sans donner la parole à Bernard Dorival qui a magnifiquement préfacé le catalogue raisonné des peintures de Gromaire, paru l'année dernière :

"Homme du Nord... il n'est pas latin. Il est, on n'insistera jamais trop sur ce point, il est et, sans doute, a voulu être gothique. De la sculpture et de la tapisse rie gothiques, il possède l'art de la réserve et de l'effet, l'art d'obtenir l'effet sans perdre la réserve." (1) Notre époque sans réserve et qui ne vit que d'effets éphémères disparaîtra comme celles dont la frivolité s'est évaporée. Gromaire restera comme restent, in temporels, les serviteurs de l'essentiel quand l'art est leur appel.

A. Calonne

   

Biographie

1892 :Naissance de Marcel Gromaire à Noyelles-sur-Sambre (Nord). Etudes clas siques à Douai et Paris, puis études de droit.

1910: Fréquente les différentes académies de Montparnasse, puis voyage en Belgique, Hollande, Allemagne et Angleterre.

1911: Participe au Salon des Indépendants avec six œuvres. 1913: Service militaire, puis la guerre éclate : blessé

en 1916 dans la Somme.

1920: Rencontre le Dr Girardin qui, pendant plusieurs années lui achète sa production, léguée par la suite au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.

1921: Exposition particulière à la galerie La Licorne.

1925: Exposition à la galerie Pierre Lab. Expose "La guerre" au Salon des Indépendants.

1931: Exposition à la galerie Pierre Matisse à New York.

1933 : Exposition à la Kunsthalle de Bâle.

1937: Compose une frise pour le pavillon de Sèvres

à l'Exposition Internationale.

1939: Participe au mouvement de renouveau de la tapisserie aux côtés de Jean Lurçat à Aubusson où il réside quatre ans et demi.

1951: Professeur à l'école des Arts décoratifs à Paris. "New York vu par Gromaire" à la galerie Louis Carré à Paris.

1952: Prix Carnegie.

1956: Prix National Guggenheim. Exposition Gromaire à la galerie Louis Carré et au musée des Beaux-arts de Besançon.

1957: Exposition à la Maison de la Pensée Française. 1962: Exposition au Palais des Beaux-arts de

Charleroi.

1963 : Exposition au musée national d'Art Moderne. 1966: Rétrospective au Palais des Beaux-arts de Lille.

1971: Mort de Marcel Gromaire.


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