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Le Père Tanguy : marchand de couleurs éclairé de Montmartre

Le Père Tanguy : marchand de couleurs éclairé de Montmartre

Sous le Second Empire, Montmartre abritait de nombreux brocanteurs et marchands de couleurs. Certaines boutiques acceptaient d'accrocher la jeune peinture impressionniste. Il arrivait parfois de voir sortir, l'air furtif, des bourgeois passionnés d'art, avec sous le bras, une toile mal enveloppée.

Le Père Martin acheta un jour un Renoir "La loge" pour 485 F !. Ce brocanteur possédait un misérable rez-de-chaussée dans le bas de la rue des Martyrs, mais quels beaux tableaux, on voyait chez lui ! Toute l'école impressionniste y était représentée sans compter les Corot, Delacroix, Daumier ...

Les marchands de couleurs avaient des magasins plus soignés que les brocanteurs. Le plus célèbre fut le Père Tanguy. Ce fut le premier marchand à s'intéresser aux peintres novateurs. Très apprécié des artistes, il fut immortalisé par Van Gogh.

C'était un homme généreux, qui de surcroît avait du flair. Originaire de Bretagne, Tanguy était têtu, mais non conformiste. Il arriva à Paris en 1860 et travailla d'abord comme broyeur de couleurs chez Edouard qui fournissait les artistes célèbres. Puis Tanguy se mit à fabriquer lui-même des couleurs pour des jeunes peintres avec lesquels il s'était lié tels Monet et Cézanne.

Le Père Tanguy appréciait beaucoup Cézanne en qui il retrouvait son entêtement et sa générosité. Il possédait du maître d'Aix plus de trente tableaux. Placés dans sa réserve, le marchand de couleurs ne cherchait pas particulièrement à les vendre.

Lorsque Père Tanguy mourut, les Cézanne furent envoyés à la salle des ventes où ils ne valurent pas grand chose. Un comité - dont faisaient parti Rodin et Puvis de Chavannes - se forma pour éviter que la veuve Tanguy ne soit dans la misère. C'est dire la reconnaissance que l'on portait au vieux marchand de couleurs.

Le Père Tanguy eut beaucoup d'influence sur les jeunes artistes: "Etre de l'Ecole équivalait pour lui à cette autre qualité : être moderne; et pour arriver à un tel résultat il fallait avant tout bannir de sa palette le jus de chique et peindre épais" explique ici Ambroise Vollard.

Van Gogh rencontra, chez le marchand de couleurs Tanguy, Cézanne, Gauguin, Signac. Ce qui va contribuer à le faire devenir réellement lui-même, sa palette va s'éclaircir, sa touche va se faire plus légère au fur et à mesure que son esprit s'apaise dans le milieu montmartrois.

C'est lors de son premier séjour à Paris qu'il dessina la vue de sa chambre : "J'ai loué une petite chambre à Montmartre où tu te plairais; c'est petit mais elle donne sur un petit jardin tapissé de lierre et de vigne" écrit-il à son frère en juillet 1875. Il peignit aussi le belvédère de la place du Tertre, une guinguette: "la Bonne Franquette" et une vue du maquis. De ce séjour date l'épanouissement de Van Gogh jusque là voué à une matière et à des sujets lugubres.

Dix ans plus tard, Van Gogh revint à Paris et emménagea avec son frère Théo dans un grand appartement au 3ème étage d'un bel immeuble, 54 rue Lepic. Van Gogh n'avait alors qu'à gravir la pente qui le menait de la rue des Abbesses au Moulin de la Galette pour atteindre le vieux Montmartre. Là, il aimait poser son chevalet. Le Moulin de la Galette, les broussailles du Maquis et Paris qu'il découvre des hauteurs de la butte, sont ses modèles préférés.

Il déjeunait souvent "A la Bonne Franquette", une petite guinguette, au 18 de la rue Sainte-Rustique qui offrait sous ses tonnelles ombragées le repos nécessaire.

Les tableaux sombres, peints antérieurement en Hollande, manquaient d'intensité. Dans sa toile "La Guinguette", Van Gogh n'abandonne pas les teintes brunes et noires, mais il leur juxtapose d'intenses touches lumineuses blanches et bleu pâle; le rouge éclabousse les feuilles grimpantes et la robe d'une dame assise alors que dans le ciel dégagé et clair s'envole une hirondelle pleine de l'espoir du printemps.

En juillet 1887, le Père Tanguy mit en devanture une toile de Van Gogh, et l'année suivante son portrait où, coiffé d'un chapeau breton, il pose sur un fond d'estampes japonaises. Quand Vincent quitta Paris, le nom du Père Tanguy revint souvent dans ses lettres. A Arles, au printemps 1888: "J'ai regret té de ne pas avoir demandé les couleurs au père Tanguy tout de même, quoiqu'il n'y ait pas le moindre avantage à cela - au contraire mais c'est un si drôle de bonhomme, et je pense encore souvent à lui. N'oublie pas de lui dire bonjour pour moi si tu le vois, et dis-lui que s'il veut des tableaux pour sa vitrine, il en aura d'ici, et des meilleurs. Ah, il me semble de plus en plus que les gens sont la racine de tout..."

Si le père Tanguy a laissé le souvenir d'un saint dans l'histoire de l'art, il est difficile d'en dire autant des marchands qui l'ont succédé et encouragé les artistes en herbe. Il y eut Berthe Weill, qui ne pensait qu'au profit avec son air sévère, puis Clovis Sagot, ancien clown et ignorant, le père Soulier qui n'a pas su reconnaître la valeur esthétique du portrait: "Femme en rouge" du Douanier Rousseau. Plus avisé, Picasso en fera l'acquisition pour cinq francs !

La célébrité du père Tanguy était montée à la tête des brocanteurs. Ils voulurent tous découvrir leur Van Gogh. Ils achetaient n'importe quelle oeuvre leur paraissant moderne.

Jean DELAUNEY


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