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Raoul Dufy

Si nous avions conservé les traditions de l'ancienne monarchie, Raoul Dufy serait l'ordonnateur de nos fêtes publiques et régenterait les décorations de nos bâtiments nationaux. Ainsi son activité s'emploierait avec harmonie et ses connaissances, dans tous les genres, seraient utilisées. Mais cela n'est-ce pas doublement un rêve vain à l'heure où Dufy, abandonnant son atelier de tissus, ne veut plus être que peintre, exclusivement peintre, ce qui, au reste, est mieux sans doute, pour la simple raison que cela est.

De son activité qui s'est déployée dans tous les domaines de la décoration plane, on ne peut guère parler comme il conviendrait dans les limites d'une courte étude. Aussi, tout ce qui a été publié sur Raoul Dufy apparaît fragmentaire. Les lignes ci-après ne se proposent pas de suppléer à cette lacune. Elles veulent simplement apporter à l’œuvre du peintre un témoignage d'admiration et de vieille et fidèle amitié.


Raoul Dufy est né au Havre. Osera-t-on me reprocher une lapalissade, si je déclare que c'est là le point le plus important de sa biographie ? Il est né au Havre le 3 juin 1877 et y a passé son enfance. Là est la clef qui ouvre la compréhension de son œuvre tout entier. Que l'on suppose Raoul Dufy originaire du centre de la France, qu'on l'imagine né à Toulouse ou à Paris, et l'on se trouve en présence d'énigmes sans solutions. Mais le Havre, avec sa campagne verdoyante et féconde, le Havre avec sa plage, ses cabines, les baigneurs des jours chauds, le Havre avec ses docks dont les senteurs font surgir la vision des régions tropicales, avec son port où de quotidiens départs ou arrivées emmènent l'imagination vagabonde dans les régions les plus diverses, le Havre qui borde de ses richesses l'infini de la mer, le Havre apporte la synthèse de l’œuvre de Raoul Dufy.
C'est au Havre que Raoul Dufy a fait ses études. Il y fréquenta l'Ecole des Beaux-Arts et recueillit les conseils du père Lhulier, lequel devait sa formation à Jean-Dominique Ingres. Comme Raoul Dufy, semblable à nous tous, éprouve le besoin d'expliquer l'inexplicable, il n'est pas loin de faire honneur à son maître, de son habileté et de sa science professionnelles. Si le père Lhulier pouvait ressusciter, il est cependant probable qu'il serait effaré devant les audaces de son ancien étudiant. Ajoutons que Raoul Dufy sut enrichir son goût des beaux rythmes, de l'harmonie, des heureuses proportions, par les longues heures qu'il passa à dessiner devant les antiques du Louvre et de l'Ecole des Beaux-Arts, lorsqu'il vint, lourd d'espoirs et léger d'argent, compléter son éducation dans la capitale et conquérir Paris.

Il y vint, en même temps que ses compatriotes et compagnons d'enfance, le bon poète Fernand Fleuret et le peintre Othon Friesz. Sa vie alors fut ce qu'est la vie de tout être jeune qui peine, avec dignité, à la double tâche d'assurer son existence matérielle et de parfaire son éducation. La règle que se traça dès cet instant Raoul Dufy, il n'en a pas changé : ramener tout à la peinture, ne faire à son art aucune concession et accepter, vaillamment, toute besogne en apparence secondaire. Ce furent quelques années de gestation où, pas un acte, pas une pensée, ne vint ternir le rêve de l'artiste.

Pour un artiste tel que Raoul Dufy, il n'est pas de besogne inférieure. Entreprend-il l'illustration d'un livre ? Il rénove la gravure sur bois et crée un genre, dont ceux qui le suivirent et l'imitèrent ne lui firent pas toujours honneur. Décide-t-il de faire des modèles pour tissus ? Tout de suite il se hausse au premier rang des rénovateurs de l'art décoratif. Il est à l'aise dans tous les genres et dans tous les formats. Son talent joue, avec bonheur, sur une feuille de papier comme il jouera, avec semblable réussite, plus tard, sur les murailles qui lui seront confiées. Il illustre des livres, compose des images populaires. Un instant même, on peut le voir, durant la guerre, dessiner pour l'armée russe une série de cartes postales que les amateurs rechercheront un jour, s'il-ne les recherchent déjà.
Etudier et analyser l’œuvre de Dufy graveur et lithographe demanderait de longues lignes. Pareilles recherches nous conduiraient des presses de Gauthier Villard, alors que s'imprimait Le Bestiaire par Guillaume Apollinaire jusqu'aux ateliers d'impression et de tissage de Bianchini-Férier. Que cet œuvre, par divers détails, ait réagi sur les travaux du peintre, c'est possible, c'est même certain, comme il est certain que le peintre a guidé le graveur, même dans les recherches linéaires où, de la seule course des noirs, doit renaître le frémissement colorié de la vie.


Lorsque Dufy vint à Paris, l'impressionnisme gagnait ses ultimes victoires et se consolidait dans sa gloire. L'inquiétude des jeunes peintres jouait avec les touches juxtaposées. Tous les artistes de quelque sensibilité s'affirmaient, en leurs premiers essais, plus ou moins tributaires de Monet et de ses émules. Pourtant, déjà, l'impressionnisme ne satisfaisait plus ces jeunes générations. Elles aspiraient à une autre technique dont, auprès d'elles, Renoir et Cézanne leur démontraient la possibilité. Deux tendances peu à peu se dessinaient parmi les peintres, les uns demandant tout à l'observation des phénomènes lumineux appliqués à la couleur, d'autres, plus austères, étudiant, avant tout, les réactions engendrées par les formes. On peut dire que les premiers continuaient l'impressionnisme dans l'étude de la lumière, alors que les seconds apportaient, à l'analyse de la forme, l'ardeur qu'avaient mise leurs aînés à l'analyse des nuances. C'est dans les rangs des premiers, aux côtés de Matisse et proche de Van Dongen que s'enrôle Raoul Dufy. Lui aussi, bientôt sonne le ralliement des teintes éparpillées, vise à des sonorités plus prolongées dont les vibrations se diluent et se perdent. Un instant, Raoul Dufy adopte une perspective conventionnelle qui simplifie les lointains, les réduit, les limite en quelque sorte. On pourrait croire alors qu'il prend à son compte, et applique à la lettre, la boutade qui ne veut voir dans un tableau que des couleurs dans un certain ordre assemblées : prendre les éléments du tableau autour de soi, les réunir avec vraisemblance, n'est-ce pas là d'ailleurs qu'est l'essentiel du travail du peintre ?
Celà, c'est le point de départ. Ce ne saurait être le point d'arrivée. Au fait, y a-t-il pour l'artiste un point d'arrivée ? Sa tâche n'est-elle pas d'investigations perpétuelles? Le but qu'il se propose, c'est de fixer pour l'avenir un aspect de la vie. Or la vie est mouvante. Elle est en perpétuelle transformation. Ce qui peut nous paraître semblable au cours des saisons n'apparaît tel que par l'imperfection de nos sens. La tâche de l'artiste est de celles dont la grandeur et la noblesse sont de découvertes constantes. Serviteur de la vérité, l'artiste doit poursuivre et découvrir un aspect de cette vérité. Il n'est jamais au bout. Il apparaît comme le véritable porteur du flambeau, le flambeau de l'Idéal qu'il doit remettre, à l'heure où il disparaît, à d'autres mains plus jeunes et aussi enthousiastes que les siennes.
Et même son œuvre est plus de re-découvertes que de découvertes véritables. Il renouvelle l'aspect des choses en imposant à tous sa propre vision. Ainsi Raoul Dufy. Il étonna lorsque, pour interpréter la mouvance des mers, il ponctua l'étendue bleue d'angles plus ou moins ouverts, se rapprochant, en leur aspect, d'accents circonflexes. Aujourd'hui, les petites jeunes filles qui envoient leurs toiles aux Salons d'automne et rêvent du prix Blumenthal, traduisent ainsi, tout naturellement, les vagues marines. Or, le Pavillon Portugais, à l'Exposition de Séville en 1929, montrait une suite de tapisseries célébrant la conquête du Maroc par la valeureuse armée de l'Infant Afonso, tapisseries tissées pour la plupart d'après les cartons de ce Nuño Gonsalves que l'éminent directeur du Musée de Lisbonne, M. José de Figueiredo a tiré de l'oubli, et où les vagues qui viennent battre les digues africaines, sont figurées aussi par des accents de même sorte. La souplesse technique de Raoul Dufy est de celles dont la description pourrait tenter. La couleur parfois apparaît comme les tailles creusées dans le bois par le burin du graveur: elle glisse sur la toile en petites lignes multipliées. Ou bien, étendue en pellicules légères et successives, elle prend consistance et éclat d'émaux. Même, Raoul Dufy réalise ce tour sorte de force de cerner ses figures d'un trait, sans que ce trait les isole de l'ambiance. Bien au contraire, ce trait imprégné de lumière, se mêle par sortilège aux formes qu'il indique, sans les délimiter, et, s'unissant à leurs courbes et à leurs modelés, en multiplie les molles et insensibles inflexions.
La réaction contre l'impressionnisme s'est élevée contre l'éparpillement des couleurs en invoquant le ton local. Mais il n'y a pas que le ton local. Il y a aussi le ton ambiant. Chaque objet est conditionné, forme et couleur, par les objets qui l'entourent. Ce fut le grand mérite du cubisme et son titre de gloire que de nous l'avoir rappelé, à grand fracas. Le fleuve qui coule, tranquille et calme sous le soleil, n'est pas de couleur uniforme. De place à autre, des bandes plus ou moins lumineuses, plus ou moins larges le parcourent transversalement. Elles sont créées par les objets des rives qui empêchent la lumière d'être semblable partout. Les arbres, les cheminées, les toits aux volumes divers, plus ou moins proches, ont des exigences que la lumière respecte et qui s'inscrivent à la surface du fleuve. Ce ne sont pas seulement les reflets qu'apportent, en se mirant dans l'eau, les objets de la rive, mais des lumières diverses et variées, qui conditionnent toutes les figures et font paraître les formes différentes. De même, lorsqu'un cheval court sur une piste, sa couleur est variable selon ce qu'il rencontre. Ne vous étonnez pas si Raoul Dufy vous le présente mi-bleu et mi-vert par exemple : il le montre tel parce qu'il le voit tel, et nous le verrions tous ainsi, si nous avions tous l'acuité de perception de l'artiste. Ce dernier nous oblige à voir ce qui est sous nos yeux, de même sorte que les impressionnistes découvraient les ombres mauves aujourd'hui perceptibles à la moindre midinette.


Les aspects français forment l'essentiel de l’œuvre de Raoul Dufy. Poète du réel, c'est en France surtout qu'il a décrit la douceur tiède de la chambre où la lumière filtre par les volets mi-clos, le coin de jardin où les arbres s'alignent à l'ordre lent du jardinier. Il a, le premier peut-être, introduit avec style, dans la vision picturale, les six étages des maisons parisiennes et les paysages qu'il a tracés de la terrasse de Saint-Cloud sont de ceux qu'un véritable amateur ne saurait regarder sans désir de possession. Mais, tout Normand est hanté par le désir de découvrir le monde et Raoul Dufy est un grand voyageur dont on pourrait étudier l’œuvre en notant, à ses divers retours, les nouvelles acquisitions de son art qui, peu à peu, s'est exalté dans sa plénitude conquise. Accompagnons-le un instant dans quelques-unes de ses pérégrinations.
L'une de ses premières randonnées l'entraîna à Munich. C'était, je crois, vers 1907. Il transcrivit l'aspect de la capitale bavaroise, nota l'éclat de ses maisons aux façades coloriées, les platanes ébranchés levant vers le ciel leurs moignons, les passantes aux jupes longues d'alors balayant le sol dans le mouvement de la marche, les hommes guindés, et les porteurs d'uniformes, raides et prétentieux.
Les véritables voyages de Raoul Dufy sont ceux qu'il effectua en prenant la Provence pour port d'attache. Cette Provence, il en est le fils par le cœur. Ne lui doit-il pas le regretté et lyrique Gasquet dont il fut l'ami cher, n'a-t-il pas, en compagnie de Coquiot parcouru cette Terre frottée d'ail, dessinant, en traits légers, rapides, et spirituels quelques-uns de ses plus caractéristiques aspects et n'y revient-il pas, de temps à autre, souriant et heureux, admirer ses plus beaux sites en compagnie de Robert Mortier et d'Eugène Montfort?
De Vence, où il a vécu et de ses environs Raoul Dufy a tracé une image précise et cependant quasi immatérielle. Les vignes aux ceps tortus, le viaduc qui unit deux collines et ces collines elles-mêmes avec les oliviers qui descendent leurs pentes, les roches rouges, et les maisons assoupies aux heures de soleil, et les petites rues grimpantes, et la place où jase une fontaine, tout cela apparaît délicat, aérien et subtil, comme en un rêve éblouissant, un rêve des Mille et une nuits.
La Sicile ne fut pas pour Dufy une révélation. Il était trop imprégné d'ordre antique pour ne pas goûter la noblesse de ses temples, la beauté svelte des colonnes découpées sur le ciel, la richesse dont le soleil et l'air marin savent parer les ruines et l'incomparable harmonie d'une terre qui palpite à l'appel du soleil et livre à ses rayons tout ce qu'elle peut d'elle-même : ici des verdures et des fleurs, là, des poussières scintillantes et des pierres arides. Dans cette Sicile, le Normand, sans effort, renoue avec ses ancêtres conquérants et conquis. Pour célébrer l’île méditerranéenne, Raoul Dufy composa quelques-uns de ses plus lyriques paysages.
Rêve des Mille et une nuits, ai-je écrit, un peu avant. Le rêve oriental avec toute sa splendeur passe dans l’œuvre de Raoul Dufy. Lui aussi est venu nous dire le charme ensorceleur des jardins frais et calmes au seuil desquels meurt le tumulte et où la douceur apaisante des soirs tombe, avec lenteur heureuse, sur l'eau limpide d'une fontaine qui recueille les effluves parfumées des fleurs environnantes.
C'est l'époque où Raoul Dufy, s'associant avec le céramiste catalan Artigas, exécute pour Mme Lapauze la fontaine qui embellit, en 1925, au Cours la Reine, le Pavillon de « La Renaissance », compose et décore des jardins de « salons », jardins en miniature où, dessinées dans l'émail, des nymphes nonchalantes ornent le départ d'un escalier qu'ombrage un arbre nain, où l'eau d'un minuscule ruisseau est parcourue
par quelques poissons rouges, jardins qui ont leurs retraits, leurs coins sombres, voire même leurs terrasses où l'être le moins imaginatif peut voir surgir, au crépuscule, une sultane romanesque et mélancolique.
A cette époque, Raoul Dufy visite quelques coins du Maroc. Ce qu'il en rapporte est un enchantement. Dans ses aquarelles on trouve la scintillante fraîcheur des faïences orientales. L'ombre, lumineuse et douce, frôle et anime les parois où l'arabesque a mis ses entrelacs au rythme multiplié. Dufy s'affirme un des maîtres qui ont su le mieux voir etre reproduire le charme reposant des intérieurs mauresques, des salles ouatées de silence, des cours intérieures où seule l'eau murmure, des jardins qui ne connaissent d'autre bruit que le gazouillement des oiseaux et la chute d'un fruit sur les dalles de marbre.


Visions antiques, visions africaines ne sauraient, d'aucune sorte, faire oublier le spectacle des campagnes françaises.
Avec quelle joie manifeste Raoul Dufy retrouve ces dernières ! Il les voit nobles et fécondes. Dufy est un optimiste. Il regarde la vie en face, lui sourit et la trouve belle. Pour lui, la nature est une fête perpétuelle. Les rivières ont des eaux claires vers quoi les arbres inclinent leurs feuillages touffus. Entre ces arbres, proche des rives, des villas s'élèvent sur des gazons piqués de corbeilles fleuries. Lieux de calme, de repos, d'abandon où jeunes hommes et jeunes femmes se reposent au soleil ou se livrent aux joies saines du canotage.
Vision de fêtes, certes, mais l’œuvre de Raoul Dufy est-elle composée d'autres choses que de visions de fête ? Champs de courses, vastes espaces multicolores, entre le ciel et le tapis de verdure autour de quoi tournent, sveltes et nerveux, les chevaux de race, voilà encore pour Raoul Dufy prétexte à des harmonies de couleurs, à des rythmes que la lumière fait naître dans les vibrations innombrables dont le peintre tente de retrouver, sous son pinceau, l'aspect renouvelé.
Ces spectacles de courses, il les a notés aux endroits les plus élégants. Il est allé les admirer aux environs de Londres, dans cette Angleterre qui, par ses verdures et ses herbes grasses, apparaît comme le prolongement insulaire de la Normandie, cette Normandie vers laquelle Dufy revient toujours comme un fils vers sa mère, dont il se plaît à montrer les aspects les plus avenants et les plus riches, et dont il aime les villas estivales dissimulées sous les arbres.
Sans doute, - je le rappelais plus avant -, Raoul Dufy comptera parmi les peintres des villes. Ses vues de Paris, ses tableaux et ses cartons pour les tapisseries de
Beauvais, fleurs de la manufacture que dirige, avec tant d'heureuse compétence, M. Jean Ajalbert, s'imposent déjà et créent l'image du Paris contemporain. Il est impossible de songer à aucun autre artiste lorsque Dufy peint les aspects du Bois de Boulogne. Lorsqu'il nous convie aux spectacles du cirque ou lorsque, d'un trait amusé et incisif, il note, en psychologue perspicace, les habitués d'un casino, il ne fait penser à aucun autre artiste ayant traité les mêmes thèmes, tant son originalité est foncière, tant sa vision reste pure et directe devant toute chose.
Dufy n'est pas pour cela insensible à l'églogue et aux activités champêtres. Nul n'a dit, mieux que lui, la splendeur des blés mûrissants. Nul n'a su dégager, avec semblable allégresse, la beauté de la machine, auxiliaire des moissonneurs. Ah ! si quelque jour on s'avise de vouloir, en une exposition, montrer toutes les phases d'un thème adopté par Raoul Dufy, on aura fort à faire. Combien de dessins et d'aquarelles ont inspirés les blés et les moissons, avant de venir s'imprimer sur un admirable tissu pour tentures murales, avant que soient peints quelques tableaux de magnificence joyeuse en leur éclat doré ?


Visions de fête encore, les plages avec leur animation de toutes les heures diurnes, plages où les baigneurs s'assemblent et se groupent autour des cabines, où l'air semble apporter avec lui quelque chose d'heureux. La fête est partout, sur la rive et sur les flots. Les régates font se poursuivre les voiles agiles; parmi les mâts flottent les pavillons divers; les lourds bateaux, eux aussi, se pavoisent et laissent après eux, leur traîne de fumée comme une chevelure que le vent éparpille, ce, pendant que, de la plage, s'élèvent dans l'air quelques papillons dont l'artiste fixe aussitôt la silhouette légère pour indiquer, de façon aérienne, le premier plan de la composition.
Cet amour des plages et de la mer qui lui dicta une imposante partie de son œuvre, Raoul Dufy l'a, en quelque sorte, symbolisé dans sa grande Baigneuse, assise sur le sable, devant une plage. Ses formes sculpturales sont moulées dans un maillot sans pli. C'est une apothéose de la splendeur féminine associée à la splendeur des eaux et des nuages.
Chose curieuse, une ombre de mélancolie passe sur cette toile, et cette mélancolie, on ne la discerne guère, à travers l’œuvre de Raoul Dufy, que dans les figures féminines, comme si l'artiste, en exaltant leur beauté était obsédé à la pensée de la lente désagrégation qui conduit au déclin. Et cela, quelle que soit la beauté du décor, quelle que soit la splendeur du cadre où l'artiste situe son modèle, soit qu'il le fasse surgir, en une heureuse audace, sur le scintillement d'un fond uni qui compose, avec la souplesse des chairs, une harmonie vibrante, soit qu'il l'entoure de tissus ou d'objets dont l'éclat et la variété ne se rencontrent guère ailleurs auprès de nous que dans les tableaux d'Henri Matisse.
Odalisques, appelons-les ainsi pour leur donner le nom qui leur est d'ordinaire prêté. Odalisques, parce que leurs gestes sont lents et leurs attitudes abandonnées, parce qu'on devine, autour d'elles, la tiédeur d'une atmosphère d'été, parce qu'elles apparaissent, parmi les étoffes chatoyantes, comme un fruit précieux que le désir ne saurait effleurer sans déférence, parce qu'à leur aspect, le rêve s'envole vers ces terres orientales où les récits placent le Paradis légendaire et où la première femme ouvrit les yeux, dans ces régions, où parmi les roses, les poètes persans ont fait vivre à jamais mainte héroïne, immortelle autant que leurs stances.
Ce poète qui pousse la couleur à son paroxysme, et qui exalte avec une tendresse lyrique, en rythmes larges et ordonnés, tout spectacle qui le séduit, Raoul Dufy, s'il n'a exécuté que de rares portraits, ne s'est pas moins affirmé comme l'admirable et perspicace interprète de quelques visages. Et d'abord des portraits de femmes, graves et méditatifs. Puis, quelques figures d'hommes clairsemées dans son œuvre. D'un intérêt exceptionnel apparaît le portrait de Joaquim Gasquet, peint à l'huile, et quelques portraits au crayon : le fin et douloureux visage de Rémy de Gourmont, Canudo au large front découvert. De Jean Cocteau, pour qui Raoul Dufy un instant apparut au théâtre en composant les décors du Bœuf sur le toit, l'artiste a fait plusieurs dessins subtils, légers et attrayants.
Et peut-être, parmi ces portraits, convient-il de signaler celui du peintre par lui-même. Il est au travail, le modèle étendu sur un canapé, devant lui. Il tient son pinceau de la main gauche, non point par servitude devant la glace qui renverse les gestes, mais bien parce qu'il se sert de sa main gauche tout naturellement. Il est blond et frisé, comme le héros d'un conte romantique. Il est svelte, fringant, distingué, comme son art lui-même. Poète lyrique et dilettante, tel on le devine dans ce tableau. Tel il est en réalité. Son dilettantisme le pousse vers toutes rives où fleurit une élégance qu'il s'applique à transcrire pour que le souvenir en reste impérissable, attaché à son nom.







 


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