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Interview de Charles Levier

Charles Levier et Marcel Spilliaert

INTERVIEW de LEVIER Charles

« Peindre est une drogue »

TD : Vous êtes de retour en Corse, votre pays natal. Quel est le lien qui unit le nom de Levier à l'île de Beauté ?

LEVIER Charles : Je suis revenu en France pour un événement exceptionnel pour moi : mon mariage, le troisième, qui ne fait qu'officialiser une liaison vieille de douze ans avec une négociatrice en immobilier américaine, d'origine allemande. A soixante-douze ans, j'avais envie de retrouver mes racines. Sans doute savez-vous qu'en Corse un village porte mon nom Levié. J'ai du d'ailleurs ajouter un r à mon nom, car les américains le prononçaient Livaï et non Levié comme en français.

Il ne faut pas oublier que cinq de mes ancêtres ont été maires d'Ajaccio et que l'un d'entre eux a même sauvé la vie de Napoléon.

Mon père, lui aussi, a servi courageusement la France et fut décoré de nombreuses fois durant la guerre de 14-18 où il perdit la vue.

T.D. : Quels sont vos souvenirs de cette époque ?

LEVIER Charles : Mon père a rencontré ma mère alors qu'il représentait la France aux USA dans les années 20. Ils sont revenu vivre en Corse où je suis né. Ma mère est morte en 1934 et mon père en 1939 au moment où je me suis engagé dans l'armée.

Fait prisonnier à Cambrai, je me suis évadé pour me retrouver dans les Forces Françaises Libres. Parachuté dans le maquis de la région toulousaine, j'ai terminé la guerre en tant qu'officier.

T.D. : Quand avez-vous donc commencé à peindre ? Quel a été votre itinéraire ?

LEVIER Charles : Après quelques études aux Arts Décoratifs à Paris, j'ai préféré partir à Hollywood pour y exercer mes talents de peintre.

T.D. : Pourquoi Hollywood et pas Montmartre ?

LEVIER Charles : A l'époque, Hollywood n'était qu'un village et tout le monde se connaissait.

Mon hobby étant le cinéma, comme tous les résidents d'Hollywood, ma première exposition eut lieu à Los Angeles au débit des années 50. Dans le même temps, j'ai produit trois films : le premier avec Louis Jourdan, le second, sur un thème surréaliste, le troisième est toujours dans les boîtes. Faute d'argent, il n'a jamais été monté. Il lui manque juste le son, musique et paroles.

T.D.: Qui fréquentiez-vous dans le monde artistique de cette époque ?

LEVIER Charles : Juste après guerre, avant de quitter Paris, j'ai rencontré Bernard Buffet qui présentait une de ses premières œuvres à notre professeur des Beaux-Arts, Monsieur Veysset, une aquarelle très « chromo », très éloigné de la facture qu'il a ensuite adoptée.

T.D. : Que pensiez-vous de l'art abstrait de cette époque ?

LEVIER Charles : Je n'ai jamais compris et à Monsieur Veysset, sculpteur en renom qui avait suivi cette voie, je répétais souvent « Expliquez-moi comment un fils de gardien de prison (son père était gardien de prison!) a une démarche aussi intellectualisée alors que moi, fils d'officier, je suis obstinément figuratif ! »

L'art abstrait est parfois décoratif, mais je compare cela à du papier-peint : un motif sur un fond neutre. De toute manière, mieux vaut un mauvais abstrait qu'un mauvais figuratif ! On lui trouvera toujours une excuse !

T.D : Quelle technique employez-vous ?

LEVIER Charles : Comme tous les artistes on m'a souvent comparé à Bernard Buffet, peut-être parce qu'à l'origine, je travaillais par glacis cerné par un trait. Mais les glacis vieillissent très mal, surtout le trait était utilisé depuis XIXème siècle. Gauguin, Toulouse-Lautrec étaient linéaires.

T.D : Vous n'auriez-donc jamais imaginé votre vie sans la peinture ?

LEVIER Charles : Jamais ! Peindre est une drogue pour moi. Je n'envisage pas la vie sans la peinture. D'ailleurs, regardez mes bagages, j'ai une malle pleine de dessins, de croquis qui me servent ensuite de base pour mes huiles. Moi je suis très excité quand je dessine. D'ailleurs, je crayonne toute la journée... au téléphone, dans les embouteillage et même au lit !

T.D. : Mais, si vous le vouez-bien, revenons un peu à votre période américaine des débuts. Quel fut l'accueil du public dans les années 50 ?

LEVIER Charles : Je suis resté dix ans à Hollywood sans revenir en France. C'est très dur lorsque l'on est loin de ses racines. Heureusement au cours de cette décennie. J'ai fait des rencontres merveilleuses. Hollywood était une pépinière de talents. Ma renommée a atteint une telle notoriété qu'une de mes œuvres s'est vendue à 2500 dollars chez Parke Bernet, rachetée depuis Sotheby's ! A l'époque, cela représentait une somme importante et l'on m'a beaucoup demandé pour diverses expositions. Un journaliste brésilien avait même loué une île large de Rio de Janeiro pour y organiser une rétrospective des mes œuvres ! C'est l'époque où Franck Sinatra m'avait acheté de nombreux tableaux pour décorer son ranch à Las Vegas et où il renvoya un un décorateur en renom qui voulait les enlever pour refaire l’intérieur de cette magnifique hacienda !

Les Kennedy m'ont acheté des tableaux et de nombreuses personnalités ont acquis quelques-unes de mes plus belles toiles.

Mais je suis sorti un peu de ce système – je vis actuellement dans le New-Hampton, au bord de la mer, une sorte de Deauville à quelques heures de New-York dans une villa en bois, les pieds dans l'eau.

T.D. : Fréquentez-vous encore les musées ?

LEVIER Charles : Lorsque je vais à New-York voir mon marchand, je ne m''attarde pas car j'ai horreur des villes. Je n'ai même jamais mis les pieds dans la plus grande galerie new-yorkaise qui expose mes œuvres, dans Madison Avenue.

Toutefois je vais souvent dans les musées américains. J'adore le Mellon de Washington. J'admire beaucoup Van Gogh, mais je préfère les photographies aux œuvres qui ont très mal vieillies et dont on a parfois du mal à cerner les formes essentielles.

T.D. : Et la France ?

LEVIER Charles : J'ai peu exposé en France sauf dans les années 70 où la galerie Findlay a présenté mes huiles pendant quatre ans et, dans les années 80, la galerie Sassi des aquarelles.

Une exposition personnelle a été consacrée à mes œuvres au musée de Montmartre en 1984 dont je n'ai pas gardé un souvenir impérissable.

T.D : Quel est le peintre, outre Van Gogh, qui vous a le plus marqué ?

LEVIER Charles : J'aime beaucoup les Fauves, notamment Derain. Je pourrais vous citer de mémoire ce que disait Derain : « En art, les théories sont comme les ordonnances du médecin, pour y croire, il faut être malade ». Valminck ne déclarait-il pas de son côté ! « L'art, c'est comme la cuisine, elle ne se discute pas, elle se goûte ». En ce qui concerne la période fauve, je préfère tout de même un Bonnard à un Vlaminck dont je n'ai d'ailleurs jamais bien saisi la démarche picturale.

Propos recuillis par J. M. Carton

Charles Levier et Madame Spilliaert


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